Voyage au Tchad dans le massif du Tibesti

Tibesti : de l'Émi-Koussi aux lacs d'Ounianga Kébir (février 1998)

Pour mon premier contact avec le Sahara j’ai opté pour une véritable aventure : un pays absolument pas touristique, ayant peu subi l’influence de la modernité, et donc encore très traditionnel : là-bas le transport à dos de chameau est resté une réalité ! Un voyage difficile : presque une semaine de piste avant d’arriver à pied d’œuvre. Mais aussi un pays quelque peu « craignos » : de vastes zones minées suite à la guerre tchado-libyenne (seuls les gens du coin savent à quel endroit il faut quitter la piste parce que tout droit ce n’est pas déminé), des prises d’otages plus ou moins régulières d’occidentaux : le groupe suivant le mien (parti avec le même guide) s’est fait prendre en otage contre demande de rançon. Ça s’est bien terminé pour les touristes, mais pas pour les preneurs d’otages ! Du reste, cette région est redevenue depuis quelques années une zone de guerre civile larvée et les touristes n’y vont plus.

Donc, départ début février pour N’Djaména (en arabe نجامينا), capitale du Tchad, au bord du fleuve Chari (qui se jette dans le lac Tchad). Une zone passablement impaludée (mais heureusement c’est pour nous le seul endroit). Après une courte nuit, départ en 4 × 4 : il y a 1000 kilmomètres jusqu’à Faya Largeau, et seuls les 20 premiers kilomètres sont goudronnés. Cette photo montre notre premier repas, nous sommes encore dans la zone de savane :

Repas aux environs de Massakory, le 7 février 1998

La route suit en fait pendant plusieurs jours le lit du Bahr el Gazal, un oued qui y a quelques siècles, alimentait encore de façon permanente en eau le lac Tchad.

Voici un arrêt dans un village africain, celui de Goz Byla :

Arrêt dans le village de Goz Byla (8 février 1998)

Au niveau du village de Salal le paysage commence à devenir désertique. La région reçoit quand même un à deux mois de pluie par an.

Le village de Salal, le 8 février 1998

Voici le puits de Burkina : un vrai puits saharien fréquenté par de vrais nomades. Il n’est d’ailleurs pas trop conseillé de les photographier quand ils abreuvent les bêtes, c’est pourquoi je me suis abstenu.

Le puits de Burkina (9 février 1998)

Nous passons ensuite à Kouba Olanga pour des formalités qui durent assez longtemps. Les autorités ne sont pas trop habituées à apercevoir des touristes et regardent de près nos autorisations. Il est naturellement plus que déconseillé de photographier un policier ou un militaire. Après cet arrêt, nous continuons jusqu’au déjeuner dans ce paysage de craie blanche qui évoque un peu le désert blanc d’Égypte et de Libye orientale :

Paysage de désert blanc aux environ de Kouba Olanga (9 février 1998)

Nous devons maintenant traverser un erg, l’erg du Djourab. Donc, dégonflage des pneus avant d’attaquer les dunes. Quelques ensablements sont au programme, alors tout le monde descend pour pousser. Cette descente de dune, notre guide l’a faite pour le plaisir, on pouvait passer ailleurs (mais il paraît qu’au Niger certains ergs ne se traversent que comme ça).

Descente d’une dune dans l’erg du Djourab (9 février 1998)

Voici une autre vue de l’erg du Djourab, plus représentative de la réalité :

Vue de l’erg du Djourab (9 février 1998)

Nous arrivons enfin (après quatre jours de piste quand même) à l’oasis de Faya Largeau, au sud du Tibesti. Je n’ai pas fait de photo des abords de l’oasis, jonchés de carcasses de chars datant de la guerre tchado-libyenne. Dans la ville, une caserne de militaires français (bien gardée) : nous sommes toujours là-bas depuis les années 80. Nous visitons les souks, parfaitement authentiques, alimentés par le commerce avec la Libye. Le lendemain, nous quittons la ville en plein vent de sable. Les appareils de photos souffrent beaucoup. Mes photos seront rayées pendant quelques jours, après quoi l’appareil sera complètement HS. Je finirai le voyage avec un appareil jetable. Pour partir au Sahara, c’est connu qu’il faut prendre l’appareil le plus rustique qui soit, encore faut-il le trouver et ensuite être capable de l’utiliser…

Nous pénétrons dans une région qui s’appelle le Borkou et qui constitue les contreforts du Tibesti. Cette région est habitée par les Toubous, un peuple farouche s’il en est, qui a peu été influencé par la colonisation. Je n’ai malheureusement pas fait le voyage dans la voiture du guide, j’aurais pu sans cela connaître davantage de choses sur le peuple Toubou. Dans cette région aussi, nous avons quitté la principale piste, celle qui sert pour les échanges entre le Tchad et la Libye. Nous roulons maintenant à 20 à l’heure sur de très mauvais chemins pierreux.

Le deuxième jour après avoir quitté Faya Largeau, nous passons dans le village d’Isky où l’on peut apercevoir les premiers reliefs tassiliens :

Le village d’Isky, le 12 février 1998

J’ai essayé de rattraper avec Photoshop les rayures de cette photo, mais ce n’est pas évident… (j’ai laissé à titre de comparaison les rayures sur l’une des photos d’arrière-plan).

Voici notre prochain bivouac au lieu-dit Nada : nous avons placé nos duvets sur les petites corniches rocheuses. Les bivouacs à la belle étoile constituent vraiment l’agrément de tout voyage au Sahara.

Bivouac à Nada (12 février 1998)

Le lendemain matin, une petite marche avant de reprendre la voiture. La photo représente notre guide local Senoussi, qui ne se sépare jamais de sa kalachnikov. Au Tchad depuis la guerre, la possession d’une arme est un signe de distinction sociale.

Marche derrière notre guide Senoussi (13 février 1998)

Cette scène représente l’un de nos accompagnateurs préparant le thé au feu de bois :

Prépatation du thé au feu de bois (13 février 1998)

Nous nous approchons maintenant de la zone où nous allons randonner. Cette zone est dominée par le volcan éteint Émi Koussi (3415 m) le plus haut sommet du Sahara, dont nous allons faire l’ascension. La photo ci-dessous représente la zone tassilienne où nous nous trouvons, avec en toile de fond l’Émi Koussi. Comme on peut le voir c’est une montagne dont les dimensions sont comparables à l’Etna.

Entrée dans la zone de tassilis, avec au fond l’Émi Koussi (3415 m) (13 février 1998)

Pour prendre cette magnifique photo, nous avons dû faire arrêter le véhicule. Pour être honnête ce n’est pas moi qui suis à l’origine de la prise de vue, c’est un membre de notre groupe qui a su avoir l’œil au bon moment. Nous avons ensuite tous pris le même cliché.

Une belle photo prise au cours de notre périple (13 février 1998)

Je m’aperçois à cette occasion que je n’ai pas encore parlé du groupe. Nous n’étions pas très nombreux (il faut dire qu’on ne s’embarque pas à la légère dans un tel pays), le groupe avait dû être complété par deux Italiens qui s’étaient inscrits par une agence italienne (il fallait donc leur parler en anglais, ce que j’ai accepté difficilement). Dans le groupe il y avait aussi deux Luxembourgeois qui pourtant ne se connaissaient pas. Ils parlaient en luxembourgeois entre eux (donc pas terrible pour la communication). Enfin, deux personnes âgées (françaises) dont l’une s’est trouvée assez mal en point à la fin du trek (on a parlé à un moment de l’évacuer, opération qui dans un tel endroit n’eût pas été une mince affaire). En définitive, un groupe assez hétérogène qui ne m’a pas laissé des souvenirs impérissables.

Nous arrivons dans la région de la dune d’Ourty où nous allons démarrer (enfin !) notre randonnée à pied. Ça fait quand même dix jours que nous sommes partis et nous ne nous sommes pas trop fatigués jusqu’ici. La dune d’Ourty est situé au cœur d’un magnifique paysage tassilien, digne du Sud algérien (où je ne mettrai les pieds qu’à la fin de 2004). Camper dans un tel endroit est un véritable délice.GE

Paysage tassilien à Ourty (13 février 1998)

Dommage que l’état des photos soit ce qu’il est…

Près de la dune d’Ourty (13 février 1998)

Nous avons marché pendant deux jours dans ces paysages de rêve, voici l’emplacement du camps suivant, près de la brèche de Laoua :GE

Près de la brèche de Laoua, le 14 février 1998

Et voici enfin le bivouac de Tigui Piton. C’est là que nous allons quitter pour une semaine nos véhicules (que nous retrouvions jusqu’ici chaque soir) pour commencer la randonnée chamelière. Chamelière qui ne veut pas dire à dos de chameau : seuls nos bagages sont sur les chameaux. En effet la topographie particulière des lieux nécessite d’avoir recours à une race de chameaux « de montagne », qui passent (presque) partout mais qui portent moins lourd que les chameaux de plaine.

Au bivouac de Tigui Piton, le 15 février 1998

Pour cette randonnée chamelière nous serons accompagnés de chameliers qui ont été recrutés parmi les tribus touboues du coin. Le rendez-vous a été fixé plusieurs semaines à l’avance et de très nombreux chameliers et chameaux sont venus. Nos guides commencent pas sélectionner les chameaux valides, puis, afin de ne pas faire de jaloux, organisent un tirage au sort pour sélectionner les heureux élus.GE

Au départ de la randonnée le lendemain, nous visitons la grotte de Tigui Cocoïna qui contient des peintures rupestres.

Peintures rupestres à Tigui Cocoïna (16 février 1998)

On trouve des peintures rupestres sur tous les voyages au Sahara. Il y a des gens qui s’extasient devant, j’avoue que personnellement ça ne m’a jamais fait sauter au plafond.

La guelta Mouzri, ou nous nous arrêtons le soir (et nous lavons un peu, si si ça arrive !) est une enfractuosité naturelle qui conserve les eaux de pluie pendant plusieurs années (du fait du relief la région est un peu plus arrosée que le reste du Sahara).

La guelta Mouzri (16 février 1998)

Les deux jours suivants sont employés gravir les pentes de l’Émi Koussi. C’est assez monotone, ce n’est pas la partie la plus intéressante du voyage. Le départ à Tigui Piton est à environ 500 m d’altitude, le bord du cratère à 3000 m. Mais la pente est extrêmement douce, c’est pourquoi il faut presque trois jours pour la remonter. Voici le paysage typique que l’on peut observer pendant ce long trajet. Pour ceux que la géologie intéresse, l’Émi Koussi est un volcan éteint depuis un million d’années environ, les premières éruptions datant de l’ère tertiaire. À la fin, la chambre magmatique s’est écroulée pour former la caldeira sommitale. Les roches volcaniques que nous rencontrons sont d’abord des coulées de tracites, puis des ignimbrites, rocher formé par la chute de nuages de cendres.

Pentes de l’Émi Koussi (17 février 1998)

Au bout de ces trois jours, lorsque nous débouchons sur le rebord de la caldeira, nous sommes enfin récompensés de nos efforts :

Vue générale du cratère de l’Émi Koussi (19 février 1998)

Un véritable paysage lunaire !

Détail du paysage précédent (19 février 1998)

Au centre de la caldeira se trouve un petit cratère appelé Erra Kohor ou aussi trou au natron. Notre guide nous précise bien qu’il ne s’agit pas du trou au Natron que mentionnent les guides touristiques du Tibesti, lequel se situe plus au nord dans le massif (c’est pourquoi ce trou-là doit s’écrire sans majuscule !). Pour info le natron c’est du carbonate de sodium ; c’est la tache blanche au centre. Nous sommes descendus dans le cratère jusqu’au centre de la couche de natron.

Le tour au Natron ou Erra Kohor (19 février 1998)

Nous avons dormi à la belle étoile au bord du trou (nous n’avions pas emporté les tentes pendant la randonnée). Il faut savoir qu’à trois mille mètres d’altitude en février, même sous les Tropiques, il ne fait pas chaud. Le matin le contenu des gourdes n’est plus que glace. Nos chameliers, eux, n’ont pas de duvet, ils ont dû ramener une très grande quantité de bois pour faire du feu toute la nuit.

Une autre vue du trou au natron dont nous avons fait le tour le lendemain :

En faisant le tour d’Erra Kohor (20 février 1998)

Et ce avant de faire l’ascension du sommet de l’Émi Koussi proprement dit, c’est à dire du plus haut point des bords de la caldeira.GE

Vue du sommet de l’Émi Koussi (20 février 1998)

Nous sommes là au point culminant du Sahara, à 3415 m l’altitude. Même si ce sommet ne présente aucune difficulté technique, assez peu d’Européens en ont fait l’ascension jusqu’ici (une centaine tout au plus).

La redescente des pentes du volcan est tout aussi monotone que leur montée. Et ce jusqu’à ce que nous atteignons la petite oasis de Yi Yerra coincée dans des gorges. Elle est alimentée par une source chaude, le seul résidu d’activité volcanique dans cette zone :GE

La petite oasis de Yi Yerra (22 février 1998)

Peu après nous rejoingnons nos véhicules : c’est la fin de la randonnée mais non du voyage.

Nous nous dirigeons en effet vers l’est, jusqu’à l’oasis de Gouro, l’une des plus belles du Sahara, entourées de cordons dunaires dévalant les rochers (ce que malheureusement mes photos ne rendent pas très bien). Gouro fut aussi le théâtre de combats de la guerre tchado-libyenne, et il en reste de nombreux champs de mines. Donc, interdiction de descendre des véhicules. Pour éviter les mines nous faisons de nombreux détours avant d’entrer dans l’oasis, selon un itinéraire connu de notre guide Senoussi seul.

L’oasis de Gouro (23 février 1998)

Nous déjeunons le lendemain à côté d’une carcasse de char libyen dont les obus n’ont pas explosé (il est plus que déconseillé d’y toucher !).

Une carcasse de char libyen et ses obus prêts à l’emploi (23 février 1998)

Le voyage se termine en apothéose avec les oasis et les lacs d’Ounianga Kébir, situés aux confins de l’Ennedi. Les lacs sont en fait des lacs d’eau salée (au natron) mais les palmiers puisent leur eau dans une couche d’eau douce située en-dessous. Le site me fait un peu penser à Assouan. Il y a plusieurs lacs, dont l’un aux eaux teintées de rouge mais ce n’est pas le plus intéressant.

Le lac Yoa à Ounianga Kébir (24 février 1998)

Lac d’Ounianga Kébir (24 février 1998)

Il nous reste encore presque une semaine de route pour retourner à Fort-Lamy (euh pardon, N’Djaména). Avec un passage par le camp de Ouadi-Doum dans lequel l’armée française (euh pardon, l’armée tchadienne) a écrasé la Libye. Là encore la zone est très minée, mais il est absolument interdit de prendre des photos. Nous rejoignons la piste principale au sud de Faya Largeau, où nous ne retournons pas.

En définitive, un des voyages les plus exceptionnels que j’aie jamais fait, mais aussi une véritable aventure dans laquelle, avec l’âge, j’hésiterais à m’engager de nouveau.