Voyage dans le Karakorum pakistanais

Pakistan : glacier du Baltoro et col de Gandoghoro (août 1999)

Le Karakorum : un prolongement de la chaîne de l’Himalaya qui se situe au nord du Pakistan. C’est là que l’on trouve le K2, le deuxième sommet du monde (8611 m), mais aussi quatre autres sommets de plus de 8000 m, ainsi que des dizaines de 7000 et des centaines de 6000. Le tout au milieu de paysages parmi les plus extraordinaires du monde : des terres ocres dignes du sud marocain, des montagnes enneigées, des vallées alpestres en trois fois plus gigantesques. Et surtout les glaciers, les plus importants du monde en dehors des régions polaires, dont certains mesurent plusieurs dizaines de kilomètres de long (70 km pour le glacier de Siachen). Et enfin, il y a l’Indus, l’un des grands fleuves du sous-continent, qui traverse le massif à travers une vallée encaissée de plusieurs centaines de kilomètres. Vallée parcourue par une route mythique et ô combien vertigineuse, la KKH (Karakorum highway), ancienne route de la soie qui mène en Chine par le col de Khunjerab, à 4730 m d’altitude.

Ce qui est à mon avis le plus extraordinaire de tous les voyages que j’ai faits a commencé à Rawalpindi (en ourdou راولپنڈی), dans l’état du Penjab, ville située non loin de la nouvelle capitale Islamabad. Nous avons parcouru une après-midi durant les souks, sans guère d’intérêt architectural, et dans lesquels on ne croise absolument aucun occidental, et pratiquement non plus aucune femme. Il va sans dire que les quelques femmes de notre groupe, qui avaient choisi de faire la visite seules, se sont fait remarquer ! Je n’ai pas pris de photo de la ville proprement dite, si ce n’est de cette curiosité typiquement pakistanaise, ce camion décoré : c’est à peine croyable, mais la très grande majorité des véhicules que l’on croise sur les routes sont bariolés ainsi !

Camion décoré dans une rue de Rawalpindi, le 2 août 1999

De Rawalpindi nous aurions dû rejoindre Skardu, dans les montagnes, par un vol de 40 min survolant le Nanga Parbat (8126 m), le deuxième sommet du Pakistan. Mais ce vol n’était assuré que par beau temps, ce qui n’était pas le cas. Donc en lieu et place, deux très longues journées de route par la Karakorum highway, dont la première débutait à quatre heures du matin pour s’achever à 22 heures. Et inutile de préciser que nulle réglementation au Pakistan n’oblige à avoir deux chauffeurs ! Et la pléthore de carcasses de véhicules en tout genre que l’on pouvait apercevoir de loin en loin au fond des ravins n’était pas pour nous rassurer…

Nous sommes donc partis de nuit, pénétrant très rapidement au cœur des montagnes, mais le jour était déjà levé depuis longtemps quand nous avons rejoint la vallée de l’Indus. Imaginez une vallée aux pentes vertigineuses, de plusieurs milliers de mètres de profondeur, parcourue en son fond par un impétueux torrent de la largeur de la Seine ! Certaines des photos qui suivent ont été prises à proximité du village de Pattan (rien à voir avec la ville homonyme du Népal). 

La vallée de l’Indus, (au retour) le 24 août 1999La vallée de l’Indus à la hauteur de Pattan, le 3 août 1999

Le paysage avait ici un aspect quelque peu méditerranéen, ce qui ne sera pas le cas de la photo suivante, prise le lendemain à Shengus, beaucoup plus haut dans la vallée de l’Indus. Nous sommes ici derrière la barrière formée par le Nanga Parbat, de telle sorte que les pluies de mousson n’arrivent (en principe) pas jusqu’ici, rendant le paysage beaucoup plus aride. Nous avions entre temps passé une nuit à Gilgit (en ourdou گلگت), ville située sur la route de la Chine mais très à l’écart par rapport à notre itinéraire principal, lequel continuait à remonter la vallée de l’Indus. Les raisons profondes de ce crochet d’une trentaine de kilomètres aller (ce qui sur ce type de terrain est loin d’être négligeable) m’ont échappé, même si le site de Gilgit n’était pas dénué d’intérêt (je n’ai pas pris de photo).

La vallée de l’Indus à proximité de Shengus, le 4 août 1999

Skardu (en ourdou سکردو), située à 2400 m d’altitude, constitue la base de départ des expéditions à destination du Karakorum GE. L’unique hôtel de la ville domine les boucles de l’Indus et les très étonnantes dunes de sable qui se forment sur ses berges, sorte de Sahara miniature au milieu des montagnes. De la ville elle-même j’ai retenu peu de choses, si ce n’est ses nombreux marchands de pierres précieuses. Il est bien sûr nécessaire de s’y connaître un minimum pour en acheter, mais il est avéré que le Karakorum regorge de cristaux en tout genre, au même titre que les Alpes au XIXe siècle (et certainement même encore plus).

Vue de Skardu au Pakistan, le 4 août 1999

Je suis malheureusement rentré un peu trop tard à l’hôtel pour prendre l’arc-en-ciel au moment optimal, mais cette photo suffira pour opposer un magnifique démenti à tous ceux qui affirment qu’il n’est pas possible de photographier un arc-en-ciel !

Le lendemain, il faisait nettement plus beau. Nous sommes partis en jeep pour remonter la vallée de Shigar jusqu’au environs d’Askole. Les petites montagnes de neige que l’on entrevoit à travers les nuages ne sont que de vulgaires 6000…

La vallée de Shigar, le 5 août 1999

Malheureusement nous avons dû nous arrêter avant Askole : le pont de la route avait été emporté par la crue de l’avant-veille. Une illustration parmi d’autres des conditions himalayennes ! Quelques jeeps avaient heureusement été bloquées en amont du pont (la route étant en cul-de-sac). Nous avons donc passé la rivière à pied, puis repris une autre jeep de l’autre côté pour les derniers kilomètres.

Pont écroulé près d’Askhole, le 5 août 1999

Le trek a démarré un peu en aval du village d’Askole, les derniers kilomètres de route n’étant plus praticables. Le village est situé à l’altitude de 3200 m environ, et c’est le dernier que nous rencontrions avant de pénétrer au cœur du domaine minéral.

Vue d’Askole (ou peut-être Kurpe), le 6 août 1999

La photo suivante montre quelques uns des nombreux porteurs baltis qui nous accompagnaient au cours de notre périple : une quarantaine environ alors que nous étions moins d’une dizaine d’Européens ! C’est tout un folklore les porteurs baltis. Moins costauds que les porteurs sherpas du Népal et n’adoptant pas la technique de la courroie frontale, les Baltis transportent 25 kg de charge chacun et pas un gramme de plus. Chaque matin a donc immuablement lieu la cérémonie de la pesée des sacs. Les poids de chaque charge sont ainsi minutieusement répertoriés. Les touristes sont du reste tenus de ne pas dépasser un poids limite de 15 kg par personne, ce qui constitue du reste une gageure compte tenu du matériel divers et varié (piolet, crampons…) qu’il est nécessaire d’emporter. Autre élément (bien connu) du « folklore » balti, les grèves à répétition, à côté desquelles les « journées d’action » de nos CGT et autres Sud Rail ne sont que farce tragi-comique. Nous en avons eu (au moins) trois pendant nos 19 jours de marche, et nous sommes je crois dans la moyenne. En général ça se règle par des négociations intenses entre les « meneurs » et le guide local, et se résout par quelques augmentations, l’embauche d’un ou deux porteurs supplémentaires ou encore le report d’une demi-étape. On a sans doute rarement vu expédition ou trek annulé par suite d’une grève, mais il est certain que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut, les porteurs et eux seuls décident de l’organisation et de la longueur des étapes, et il serait insensé d’imaginer un instant de leur demander un quelconque supplément par rapport à l’itinéraire prévu. Malgré tout cela, les porteurs baltis souffrent de la comparaison qui est faite avec les sherpas népalais et qui se conclut systématiquement à leur désavantage. Aussi essaient-ils, par certains aspects, d’imiter la prévenance de leur concurrents : thé servi le matin dans les tentes, ou encore montage des tentes par les porteurs, du moins certains jours.

La caravane de nos porteurs baltis, près d’Askole le 6 août 1999

Les premiers jours de marche d’approche ne sont bien sûr pas les plus mémorables, mais ne sont pas non plus totalement dénués d’intérêt. Ainsi dès le premier jour de marche nous arrivons à l’extrémité du glacier de Biafo, glacier qui tout comme celui du Baltoro mesure plusieurs dizaines de kilomètres. Il n’est néanmoins plus nécessaire de le traverser comme c’était le cas il y a quelques années, réchauffement climatique oblige. Le lendemain, c’est ce passage assez vertigineux au milieu d’une falaise, à un endroit où le torrent coule directement au pied de la pente (et il est impensable de le traverser). Ce genre de terrain n’est pas ce que je préfère, mais heureusement les porteurs n’hésitent pas à nous aider quand nous sommes mal à l’aise.

Passage aérien dans une falaise, entre le glacier de Biafo et Jula, le 7 août 1999

Juste avant le lieu-dit de Jula se trouve le torrent de Dumordo qui (selon le programme) devait être franchi par une tyrolienne (ce qui aurait dû prendre des heures avec les porteurs). Mais l’installation toute récente d’une passerelle suspendue nous a privés de cette petite attraction !

Franchissement de la rivière Dumordo, le 7 août 1999

Mais cette demi-journée gagnée ne devait pas l’être très longtemps. Car à peine arrivés à Jula où nous n’étions censés que pique-niquer, s’est déclenchée notre première grève de porteurs. Résultat des courses : une après-midi à ne rien faire et l’étape à rattraper le lendemain. Il est vraisemblable que ce débrayage avait quelque rapport avec la passerelle (car se reposer une demi-journée en attendant le passage c’est un acquis social !).

Outre une longue étape, le jour suivant nous réserve une petite surprise : la traversée d’un autre petit torrent affluent (se déversant d’un glacier suspendu plus haut sur la paroi), pour laquelle il n’existe aucun pont. Tout le monde s’est déchaussé, les chaussures dans le sac et le pantalon remonté jusqu’en haut des cuisses. Mais la force du courant était telle qu’il a fallu tendre cette corde et que personne, pas même les porteurs, ne se faisait prier pour s’y agripper !

Passage d’un torrent glaciaire près de Payu, le 8 août 1999

La corde était tenue à bout de bras par deux porteurs, et de ce fait je me demande encore comment ont fait le premier porteur de notre expédition, ainsi que le dernier, lesquels ont donc dû traverser le torrent sans corde.

Après quatre jours de trek, nous sommes arrivés à Payu, à l’extrémité du glacier de Baltoro GE. Le glacier prend ici l’aspect de cet amas de pierrailles. Il mesure en tout une cinquantaine de kilomètres de long, et nous allons ensuite le remonter pendant quatre jours de marche. Au fond de l’image, on peut voir les tours de Trango. On devrait aussi voir la pointe du K2 s’il n’y avait les nuages, à condition bien sûr de savoir le reconnaître (il est à une trentaine de kilomètres !).

Arrivée devant le glacier du Baltoro, le 8 août 1999

Ce camp est le dernier avant d’aborder, pendant plus d’une semaine, un espace presque intégralement minéral. Nous y avons donc passé deux nuits, le temps que les porteurs se préparent assez de nourriture pour le séjour. Pendant cette pause au cours de laquelle le temps n’était du reste pas fameux, notre guide nous a fait une démonstration du gonflage du caisson hyperbare (même si nul cobaye n’avait souhaité se glisser à l’intérieur). Il faut en effet préciser que nous sommes déjà à 3400 m d’altitude, et que la vallée monte ensuite en pente très douce vers des altitudes plus élevées (4600 m à Concordia, 4900 m à Ali-Camp et jusqu’à 5500 m au col de Gandoghoro). Tout problème d’acclimatation pourrait donc s’avérer assez dramatique car la topographie des lieux exclut une redescente rapide. Pour ce qui est du gonflage proprement dit, il faut bien dire qu’il procure un conséquent exercice physique à celui qui le pratique. Et à ceux qui comme moi se contentent d’un rôle de spectateur, la scène pourra toujours suggérer un petit exercice de physique

Marche au-dessus du Baltoro peu avant le camp de Liligo, le 10 août 1999

Ensuite commence donc la remontée du glacier du Baltoro. Évidemment, marcher sur un tas de cailloux, tout le monde n’apprécierait pas j’en conviens. Mais ça ne manque pas d’intérêt. Pendant les premiers kilomètres on ne peut absolument pas voir de glace : on se croirait vraiment sur un simple éboulis, sur lequel le sentier est très bien tracé, et ou poussent même, par endroits, quelques rares poils d’herbe ! Nous croisons beaucoup de monde sur ce glacier, outre les trekkeurs, les expéditions et les nombreux porteurs, il y a les soldats de l’armée pakistanaise, que leur accoutrement ne distingue guère des porteurs, si ce n’est la kalachnikov qu’ils portent en bandoulière.

Les premiers camps après Payu sont toutefois situés sur la rive (gauche) du glacier, ce qui nous permet un temps de retrouver un environnement un tout petit peu plus bucolique. Ces camps sont ceux de Liligo (où nous avons dormi, 3700 m) et d’Urdokas (4011 m). On peut deviner sur la photo d’Urdokas, un fil qui traverse le petit lac de part en part : ce n’est pas une rayure de la photo mais un authentique fil téléphonique, posé (par l’armée pakistanaise) sur le glacier sur toute sa longueur depuis le bas jusqu’à Concordia… Inimaginable ! L’histoire ne dit pas toutefois s’il fonctionnne effectivement ou s’ils attendent d’avoir un blessé pour le vérifier…

Le camp et le glacier de Liligo, le 10 août 1999

Nous n’avons pas eu très beau temps pour cette marche, et c’est bien dommage car le glacier est entouré de montagnes absolument remarquables. Ainsi, ces tours de Trango, exceptionnelles parois rocheuses et hauts lieux de l’alpinisme de haute altitude (elles dépassent toutes les 6000 m). Nous pourrons les voir un petit peu mieux le jour suivant la nuit à Liligo.

Vue des tours de Trango depuis le camp de Liligo, le 11 août 1999

Cette photo a été prise le même jour, alors que nous traversons le glacier affluent de Liligo, beaucoup moins recouvert que le glacier principal. On peut voir notre guide pakistanais qui traîne avec lui… le dîner du surlendemain ! (la pauvre n’a pas dû manger grand chose depuis Payu).

Traversée du glacier affluent de Liligo, le 11 août 1999

Au camp suivant, Goro I (4200 m), une autre surprise nous attendait : les tentes étaient montées non pas sur la rive, mais en plein milieu du glacier ! Bien évidemment, ne pas espérer enfoncer des piquets en un tel endroit : nous avons dû attacher les ficelles à de gros cailloux. Quant au confort, eh bien… on peut toujours imaginer pire !

Le camp de Goro I sur le glacier, et le massif du Biarchedi, le 11 août 1999

C’est au niveau de Goro I qu’apparaissent les premiers pénitents, sortes de petits monticules de glace qui dépassent de la couche des cailloux. Ils sont paraît-il caractéristiques des glaciers tropicaux, leur formation étant un peu analogue à celle des cheminées de fées (un gros rocher protège localement la glace de la fonte sous les rayons du soleil, donnant ainsi naissance à ces formations). Sauf que je n’ai jamais vu de pénitent coiffé de son rocher. Les photos suivantes ont été prise le matin au camp de Goro I, le temps s’est heureusement un tout petit peu amélioré dans la journée.

Vue sur le Gasherbrum IV (7925 m), le 12 août 1999Pénitents à proximité de Goro I (au fond, le Gasherbrum IV, 7925 m), le 12 août 1999

Ainsi, nous avons quelque aperçu sur les sommets du coin. Ici le massif du Masherbrum, qui culmine à 7821 m. Le Masherbrum était le premier des sommets triangularisés depuis le Cachemire par les Anglais au XIXe siècle (ils l’avaient donc appelé le K1, K pour Karakorum). Ce n’est que par la suite que l’on découvrit que le K2 était plus haut que le K1.

Au-dessus de Goro I, vue sur le Masherbrum (7821 m), le 12 août 1999

Un autre sommet (beaucoup moins connu) qui domine le camp, le Biarchedi (6705 m). Je n’ai malheureusement pas pu prendre de photo de la célèbre tour de Mustagh, qui était dans les nuages.

Le Biarchedi, le 12 août 1999

De là, nous avons gagné le camp de Concordia à 4600 m d’altitude. Concordia (comme la place de la Concorde, mais aussi en référence à un emplacement similaire sur le glacier d’Aletsch en Suisse), c’est dixit le prospectus de Terdav, un panorama unique à 360° sur les plus belles montagnes de la Terre ! En fait de panorama, nous avons eu droit à deux jours de temps bouché, avec en prime, chaque matin, 20 centimètres de neige fraîche à secouer quand nous émergions de notre tente ! Ce fut tintin pour l’« exploration de ce site extraordinaire », et l’excursion vers les camps de base du Broad Peak et du K2. Nous avons vraiment cru que nous allions faire demi-tour faute de pouvoir faire le col (c’est-à dire nous retaper 30 km de moraine dans l’autre sens…). Notre guide local Karim nous a affirmé qu’il n’avait jamais dû en X années de métier en arriver à pareille extrémité.

Le « Golden Throne » (ou Baltoro Kangri, 7312 m) pris à la faveur d’une éclaircie le 13 août 1999À Concordia après une chute de neige, en direction du K2 dont on devine la silhouette ; le 14 août 1999

Les photos précédentes sont un peu trompeuses car elles ont été prises à la faveur d’éclaircies…

Heureusement, le troisième matin (celui où nous devions redescendre), alors que nous n’y croyions plus, ce fut le miracle !

Le K2 dégagé à cinq heures du matin, le 15 août 1999

Nous pouvions enfin admirer ce K2 que nous étions venus chercher de si loin ! Rappelons que le K2, 8611 m, est le deuxième sommet du monde après l’Everest… mais que contrairement à ce que prétendent certains journalistes ce n’est pas pour cette raison qu’il est numéroté « K2 ! ». Le nom local de la montagne, assez peu connu, est « Chogori ». La paroi sud de la montagne, telle qu’on peut la voir ici, mesure la bagatelle de quatre mille mètres de la base au sommet !

Le beau temps revenu, il était encore (tout juste) temps pour nous de passer par le col, mais nous ne pouvions plus par contre nous approcher du K2. Nous avons donc dû nous contenter d’en prendre (pas mal) de photos avec tous les zooms possibles et imaginables. Nous avons aussi pu photographier les autres sommets du coin, parmi lesquels pas moins de trois huit mille outre le K2. C’est la plus grande concentration de huit mille au monde (il y en a quatorze en tout). Ainsi parmi ces huit mille, le Broad Peak (8047 m), ou Falchen Kangri, dont nous apercevions le sommet pour la première fois :

Le Broad peak ou Falchen Kangri (8047 m) le 15 août 1999

Et maintenant le Gasherbrum IV, dont nous avions déjà pu avoir un aperçu, mais vous conviendrez qu’il est tout de même mieux ainsi…

Le Gasherbrum IV (7925 m) dégagé, le 15 août 1999À Concordia, le 15 août 1999

La deuxième photo de la série précédente comporte une énigme que je soumets à votre sagacité. Le Gasherbrum IV y est visible de façon évidente (sur la moitié gauche), mais qu’en est-il des autres sommets de la série ? J’ai récemment étudié la question (grâce à Google Earth dont je ne disposais pas à l’époque de mon voyage…). Il semblerait que le Gasherbrum II (8035 m) soit l’arête neigeuse dépassant tout juste du col à droite du IV ; le V (7147 m) serait le pic rocheux sous le reflet de contre-jour ; par contre et contrairement à ce que j’avais précédemment écrit, le I (8047 m) n’est pas visible. Il est toutefois avéré que nous avons un moment pu apercevoir le GI pendant cette journée du 15 août, mais je ne crois pas l’avoir pas photographié. Le seul cliché dont je dispose est donc a priori celui du col.

Nous avons commencé à progresser au-dessus de Concordia GE, et la neige qui recouvrait le glacier a commencé à fondre. Sur cette photo on distingue à la fois le K2 et le Broad Peak

Deux des quatorze 8000 de la Terre, le 15 août 1999

Et pour le plaisir d’utiliser pleinement les fonctionnalités de mon Olympus IS3000, un petit zoom à 180 mm sur le K2.

Le K2 depuis l’embranchement du glacier Vigne, le 15 août 1999

Nous gagnons maintenant le glacier Vigne : nul reflet bien sûr de la flore locale, ce nom est celui d’un explorateur valdôtain qui explora la région en 1835. Ayant gagné de l’altitude, nous retrouvons du même coup la neige fraîche, tombée suite au mauvais temps des jours précédents. Sur la gauche, on peut voir le massif du Chogolisa qui culmine à 7665 m, et dont les parois neigeuses particulièrement abruptes sont fortement sujettes aux avalanches (les autres photos de la série montrent cette même montagne, elles ont été prises plus tardivement dans la journée ; sur la dernière de la série, on peut voir le Baltoro Kangri.).

Le glacier Vigne et le Chogolisa (7665 m), le 15 août 1999Avalanche sur les pentes du Chogolisa, le 15 août 1999

Et avant que le K2 se masque à nos yeux (nous le reverrons une dernière fois, au col), une dernière petite photo au téléobjectif, pour la route !

Le K2 (8611 m) au téléobjectif, le 15 août 1999

J’espère que vous avez reconnu la photo !

Voici plusieurs photos du massif du Gasherbrum, prises à divers moments de la journée Sur l’image principale, prise le soir à Ali-camp (le dernier camp avant le col, à 4900 m d’altitude), on aperçoit le Falchen Kangri (8047 m) ainsi que les Gasherbrum IV, III, II et V (respectivement 7925, 7952, 8035 et 7147 m ; le GIII est le pic rocheux vers la droite en second plan, en partie à l’ombre : le II est le pic neigeux qui apparaît groupé avec le GV). Les autres photos — sauf une — montrent ce même massif (la dernière étant prise du même endroit mais au téléobjectif), mais comme je l’ai dit on ne voit jamais le GI. Pourtant notre guide, a un moment, s’était vanté de pouvoir placer les quatre 8000 sur la même photo ; malheureusement je ne l’ai pas imité…

Ali Camp (4900 m) le soir du 15 août 1999

Le lendemain, le col… c’est à dire le Gandoghoro-La (souvent orthographié Gondogoro), 5550 m d’altitude avec une incertitude de ± 10 %.

C’est évidemment la journée la plus difficile du trek, et je dois dire que le guide de haute montagne qui nous accompagnait ne nous l’a pas vraiment facilitée.. Le départ a en effet été fixé à minuit et demi (avec un lever à 23h30), et ce dans l’espoir de redescendre les éboulis avant les porteurs, ce qui bien évidemment ne sera pas le cas. Pour être sûrs de bien partir à l’heure, nous n’avions pas eu le droit de monter les tentes, nous nous étions donc tous étendus dans la tente mess, complètement les uns sur les autres ce qui nous empêchait absolument de fermer l’œil.

Ensuite la montée s’est faite intégralement de nuit, encordés, avec les piolets et les crampons qui devaient ne nous servir que pour cette seule journée… Qui dit encordés dit monter tous au même rythme, et la pente était plutôt raide. Et notre guide, tout à son obsession de redescendre avant les porteurs, n’a pas franchement modéré l’allure. Résultat, j’étais totalement essoufflé au col, et totalement à bout de force sur la fin de l’étape.

Nous étions finalement au col à cinq heures et demie, alors que l’aube pointait. Nous avons alors quand même trouvé le temps (et les forces) de prendre quelques photos. Le temps s’annonçait heureusement radieux. Ainsi sur cette photo, on peut voir dépasser les sommets du K2 et du Broad Peak derrière la crête. Les quatre premiers Gasherbrum étaient également visibles (sur cette photo). Dans l’autre direction, on pouvait apercevoir le spectaculaire glacier du Gandoghoro, ainsi que le pic Leïla dont je parlerai plus bas.

Le K2 (8611 m) et le Falchen Kangri (Broad Peak, 8047 m), depuis le col de Gandoghoro le 16 août 1999

Mais pour courte qu’elle fût, cette halte au sommet avait suffi pour que les porteurs nous rattrapent. Et pourtant, ils n’étaient pas équipés comme nous, loin s’en faut ! Non encordés, ils montaient en s’aidant de cordes fixes qui avaient été installées par les premiers d’entre eux. Sans crampons, et le plus souvent sans chaussures de montagne non plus, ils étaient pour la plupart chaussés de tennis avec lesquelles ils n’avaient troqué leurs habituelles sandales que pour cette seule journée. Mais ça ne les empêchait pas d’avancer. Et les premiers porteurs nous rejoignaient déjà au moment où nous atteignions le col. 

Mais sur le fond, le guide n’avait pas tort : car la descente du Gandoghoro côté sud n’était pas enneigée, c’était un éboulis particulièrement raide. Éboulis sur lequel les nombreux porteurs risquaient à chaque instant de nous faire rouler un projectile. Mais en pratique, ça a plutôt été nous qui avons eu tendance à faire rouler des pierres vers les porteurs. Pour ce passage particulièrement escarpé et dangereux, nous nous aidions de cordes fixes. Nous avions ainsi dû mettre en œuvre les techniques de prussik (poignée autobloquante) que le guide nous avait patiemment enseignées les jours précédents. Mais nous avons vite pu nous rendre compte que le pas était grand qui séparait la théorie, en école, de la pratique sur le terrain !

Le guide nous a abandonnés au bas du raidillon. Il restait encore une bonne heure de marche sur un terrain facile et presque plat, mais j’étais tellement exténué que j’ai cru que jamais je n’y arriverais. Il était environ 10 heures quand je suis arrivé (le dernier !) au camp de Khuispan (à environ 4600 m d’altitude). Nos tentes avaient été montées par les porteurs, nous avons pu nous coucher. Sur cette photo du camp, on peut voir le pic Leïla : une montagne très élégante, mais seulement vue sous cet angle ! Il y a paraît-il une légende autour de ce sommet mais personne ne nous l’a racontée.

Le pic Leïla (6096 m) vu du camp de Khuispan, le 16 août 1999Le Leïla-pic pendant la descente du col du Gandoghoro, le 16 août 1999

Mais vous avez sûrement remarqué ce que ces images ont de saisissant : elles montrent les premières touffes d’herbe que nous ayons vues depuis une dizaine de jours !

Balade au-dessus du camp de Khuispan, vue sur le Leïla-pic, le 17 août 1999

Nous avons passé une journée entière dans ce camp pour nous reposer (photos ci-dessus). Le lendemain était prévue l’ascension « facultative » du Gandoghoro-Ri (5600 m environ). Je me suis abstenu et je ne le regrette pas car la vue était assez proche de celle du col. D’autant plus que cela nous a permis, pendant ce temps, de redescendre à notre rythme le glacier du Gandoghoro, où le paysage était vraiment magnifique. J’ai pour commencer pris cette ne vue en gros plan du pic Leïla.

Gros plan sur le pic Leïla, le 18 août 1999

La marche se faisait d’abord sur le glacier, puis ensuite sur ses berges. La glace sur ce versant n’est pratiquement pas recouverte de pierres, contrairement au Baltoro. Il y a aussi quelques cascades de glace. On pourrait se croire en Suisse… si ce n’est la dimension des montagnes qui est tout autre !

Descente en direction du massif du Masherbrum, le 18 août 1999En descendant le long du glacier du Gandoghoro, le 18 août 1999

Sur cette vue on peut apercevoir au fond de la vallée le col d’où nous sommes redescendus l’avant-veille. La brèche n’est pas directement au fond de la vallée, mais un peu sur la gauche après le mamelon. On peut quand même constater que la pente était bien raide !

Vue en direction du Gandoghoro-La, le 18 août 1999

Le bas de la vallée nous a fait retrouver des paysages plus alpestres. Mais ce glacier était assez long, nous avons encore passé une nuit sur ses rives avant d’arriver en bas, au camp de Saitcho.

Plus bas le long du glacier du Gandoghoro, le 18 août 1999Pique-nique sur la moraine du glacier du Gandoghoro, le 18 août 1999

Et en arrivant au camp de Saitcho, ô comble de l’horreur : on vendait du coca cola ! Je ne crois pas que l’on puisse vraiment parler de « retour à la civilisation » ! Où diantre l’invasion des sous-produits d’Outre-Atlantique s’arrêtera-t-elle ?

L’entrée de la vallée du K6 et du K7 : c’est la suite de la série qui commence au Masherbrum et qui continue par le Chogori. Cette photo a été prise depuis le camp de Saitcho. Comme nous avions une journée d’avance sur l’itinéraire prévu, nous y avons fait le lendemain une balade d’une journée (et nous avons eu de la pluie). Les porteurs ne nous ont pas accompagnés, car il était hors de question pour ces syndicalistes nés de faire des heures supplémentaires !

Vallée des K6 et K7, prise depuis Saïtcho le 19 août 1999

On remarquera les arbres sur ces photos, nous n’en avions pas vu beaucoup ces derniers temps.

La balade aller-retour dans cette vallée n’était pas des plus reposantes puisqu’il nous a fallu traverser le glacier de Chogolisa sud, assez tourmenté. Cette photo a été prise (peu avant la pluie) au point le plus éloigné où nous soyons allés, en face de la cascade de glace du glacier de Charakusa.

La glacier de Charakusa, le 20 août 1999Le glacier de Charakusa, le 20 août 1999

Il restait ensuite une demi-journée de marche pour rejoindre le village de Hushe (3250 m). Hushe était ainsi le premier village que nous retrouvions après une vingtaine de jours de caillasse… C’était donc là le terme de notre trek (ce qui faisait quand même en tout dix-sept jours sans douche !).

Le village de Hushe, le 21 août 1999

Là aussi, le début du parcours en jeep n’a pas été de tout repos puisqu’un pont était effondré à Kande, depuis plusieurs mois celui-là. Nous avons commencé le voyage… sur le toit d’un véhicule ! Cette photo a été prise le lendemain en aval de Kande : on devine dans le fond le massif du Masherbrum.

Vue des environs de Kande, le 22 août 1999

Khaplu, dans la vallée de la Shyok, était la capitale d’un roitelet de la région, qui a quand même régné jusqu’aux années soixante-dix. Nous avons visité les restes de son palais qui domine la ville, palais que d’aucuns ont pu surnommer : « les délices de Khaplu »…

Macchlu près de Khaplu, le 22 août 1999

Ça c’était pour le mot d’esprit (des correspondants sur Internet m'ont signalé que la ville sur la première photo est en réalité une localité voisine de Khaplu, Macchlu – parfois aussi appelée Khankah ; la bâtisse au centre est une mosquée, il ne s'agit donc pas du palais de Khaplu que l'on peut lui voir sur la seconde photo).

Il nous restait encore une centaine de kilomètres de jeep avant de rejoindre Skardu, son hôtel et sa douche… La boucle était maintenant bouclée, mais il nous restait encore à regagner Rawalpindi. Il n’était pas prévu pour le retour de prendre l’avion, nous allions devoir reprendre la vallée de l’Indus et la KKH. Mais nous n’avons pas fait étape aux mêmes endroits, nous ne sommes pas repassés par Gilgit.

À Chilas (چلاس) nous nous sommes arrêtés pour voir les gravures rupestres d’époque bouddhique. Elles sont d’intérêt assez limité mais ça permet toujours de se dégourdir les jambes.

Gravures rupestres bouddhiques à Chilas, le 23 août 1999

Et voici une vue de la vallée prise à peu près au même endroit, où nous avons également passé la nuit. Je signale qu’il est formellement interdit au Pakistan de photographier les ponts, je devais sans doute conserver quelques séquelles de mon séjour en altitude… La vallée est situé juste dans l’alignement du Nanga Parbat (8126 m), mais vu le temps couvert je n’aurai pas pu en apercevoir autre chose que la base de quelques glaciers.

La vallée de l’Indus dans les environs de Chilas, le 23 août 1999

Un autre crochet était prévu pour ce retour, pour la visite de la ville de Peshawar. Nous avons rejoint Peshawar en une étape depuis Chilas, ce qui a nécessité un lever à quatre heures du matin… Il a fallu quitter la vallée de l’Indus pour celle de Swat, que nous avons rejointe en franchissant le col de Shangla (2042 m seulement…). À Mingaroa, nous nous sommes arrêtés pour visiter les restes d’une statue de Bouddha. Il faut préciser que la région était avant l’Islam une zone de peuplement tibétain, ce dont on trouve beaucoup de restes au niveau de la toponymie. La population du Pakistan est aujourd’hui musulmane à 99 %, mais ce genre de site est tout de même fréquenté par quelques familles de la bourgeoisie…

Bouddha sculpté à Mingaroa, le 24 août 1999

Nous voici maintenant à Peshawar (en ourdou پشاور), la porte de l’Afghanistan. Une ville paraît-il mythique, associée au nom de la passe de Khyber, un milieu de zone tribales où l’état de droit ne s’applique pas et où les Pakistanais qui ne sont pas Pathan (la tribu locale) ne s’aventurent pas sous peine de danger de mort (la Corse en pire, quoi !). Rassurez-vous la ville elle-même est sûre… mais sans grand intérêt, si ce n’est pour les amateurs de tapis. Bref, des kilomètres de bazars sans aucun intérêt architectural (les Sikhs ayant tout détruit au XIXe siècle). La seule chose un tant soit peu intéressante est cette mosquée du XVIIe siècle, la mosquée Mahabat Khan.

La mosquée Mahabat Khan à Peshawar, le 25 août 1999

Tout ça bien sûr, c’était avant que l’Afghanistan ne défrayât la chronique, mais je ne vais pas me mettre à faire du journalisme…

Taxila (en ourdou ٹکس, en sanscrit तक्षशिला) : site archéologique de l’époque Ghandara. Personnellement je ne connais rien à l’histoire bouddhiste. On dit que des Grecs de l’époque d’Alexandre le Grand sont venus ici enseigner les normes de construction anti-sismiques…

Les ruines de Taxila, le 26 août 1999

Enfin pour terminer, la mosquée Fayçal à Islamabad (en ourdou اسلام آباد), la capitale du Pakistan, une ville moderne sans aucun charme, construite ex nihilo dans les années 70. La mosquée fut comme il se doit financée par l’Arabie saoudite, et serait un repère d’islamistes…

La mosquée Fayçal à Islamabad, le 26 août 1999

Ce voyage a vraiment été pour moi le plus beau. Malheureusement la région a été rattrapée par l’actualité depuis quelques années, ce qui fait que les touristes y vont moins… Espérons que ça puisse changer !